Judaïsme  ·  Mort  ·  Rituel de la mort
Rafaela Estermann

Des adieux en phase avec la religion

Immédiatement après le décès d’une personne de confession juive, un réseau bien coordonné et agissant rapidement se met traditionnellement en marche. En l’espace de quelques heures, le corps est récupéré et préparé pour son dernier voyage. Parallèlement, la communauté et les amis de la famille organisent l’enterrement ainsi que la semaine de deuil qui commence immédiatement après. Mais commençons par le commencement…

« Pardon ? Les funérailles ont déjà eu lieu ? Mais elle n’est morte qu’hier ? ». Il n’est pas rare que les Juif·ves entendent des phrases de ce genre lorsqu’il s’agit de la gestion ou des processus organisationnels après la mort. En effet, dans le judaïsme, les mort·es sont traditionnellement enterré·es très rapidement, souvent même le jour de leur décès. Dans les cultures où les funérailles n’ont lieu qu’après quelques jours ou semaines, cette pratique rapide suscite parfois l’incompréhension et des termes comme « hâte juive » découlent en partie de cette incompréhension.

Pourtant, à y regarder de plus près, cette pratique illustre bien les deux éléments qui sont au cœur du judaïsme dans le rapport à la mort et dans les processus qui suivent le décès d’un proche : le respect du défunt ou de la défunte et du corps ainsi que l’attention portée aux sentiments des survivant·es.

Égalité pour tous et toutes

Regardons d’abord le parcours du corps depuis le moment du décès jusqu’à l’enterrement. Dès que la communauté a été informée, le transport du corps est immédiatement organisé ; il est amené là où a lieu la « Tahara » (que l’on peut traduire par « pureté » ; librement : lavage du corps). Lors de cette cérémonie, le corps est lavé, habillé et mis en bière. La Tahara est généralement effectuée par des volontaires engagés dans la « Hevra Kaddisha» (que l’on peut traduire par « Société sainte »). Ils laissent souvent spontanément de côté leur quotidien et leur famille pour effectuer la Tahara le plus rapidement possible. Car on ne veut pas faire attendre le défunt – mais aussi les survivants.

Le processus décrit ci-dessous diffère légèrement d’une communauté à l’autre, mais il est effectué de manière identique pour tous les défunt·es d’une même communauté, indépendamment de leur statut, de leur richesse ou de leur âge.

Avant de commencer la Tahara, les participants – les femmes pour les corps féminins et les hommes pour les corps masculins – récitent ensemble une prière. Dans de nombreux endroits, on profite également de ce moment pour s’excuser à l’avance auprès du défunt, au cas où l’on ferait quelque chose de mal par la suite ou si l’on ne prend pas les précautions nécessaires.

Pour commencer, le corps est déshabillé et recouvert d’un drap. De l’eau est ensuite versée en plusieurs étapes sur le linceul. Puis le corps est essuyé avec un autre drap. L’ablution elle-même a un caractère hautement symbolique et le corps doit être « pur » pour son enterrement et pour l’autre monde. Mais l’opération a également un caractère pratique, car le corps est lavé proprement. Pour cela, le corps nu n’est jamais touché directement, mais seulement par de l’eau et des draps. Les parties génitales et le visage sont toujours couverts, par respect pour le défunt ou la défunte. Par le même respect, on ne parle que du strict nécessaire pendant tout le processus – jusqu’à ce que le corps soit lavé, habillé et mis en bière – et aucun objet n’est passé par-dessus le mort ou la morte.

Les objets personnels ne peuvent pas être donnés afin de préserver l’égalité pour tous.

Après la toilette, on s’habille d’un simple vêtement de lin blanc. Celui-ci est également identique pour tous·tes. Si la famille le souhaite, elle peut revêtir les « chaussettes » du vêtement du défunt ou de la défunte et ainsi l’insérer dans le processus. Il existe ici encore de nombreuses traditions différentes, dans lesquelles des tessons de poterie sont par exemple encore placés dans les mains ou sur les yeux du défunt. Dans la plupart des communautés, on apporte également de la terre de la Terre Sainte, soit en la saupoudrant sur les yeux, soit en la plaçant sous la tête. Les objets personnels ne peuvent pas être ajoutés, afin de préserver l’égalité pour tous·tes.

Le corps est ensuite enveloppé dans un « talit » (manteau de prière), puis, selon les communautés, dans un drap. C’est ainsi qu’il est finalement placé dans le cercueil. Ici aussi, on prend pour tous·tes, le cercueil en bois le plus simple ; en Israël, on n’utilise traditionnellement pas de cercueil.

Tout au long du processus, l’intégrité et le respect du défunt/de la défunte sont toujours au premier plan. Ainsi, le corps doit toujours être déplacé avec beaucoup de précaution, la crémation n’est pas autorisée selon la foi juive et le repos du défunt ou de la défunte est éternel. Aucune tombe n’est creusée.

Ces marques de respect s’adressent non seulement au défunt, mais aussi à ses proches, qui doivent toujours savoir que la personne aimée est entre de bonnes mains.

© Uri Rothschild

Les funérailles

La plus grande différence avec les autres funérailles réside sans doute dans le fait qu’elles ont lieu le plus rapidement possible. Souvent le jour du décès ou le lendemain. Et il est intéressant de noter que cela ne signifie pas que peu de personnes participent aux funérailles juives, car la société juive s’est adaptée à ces funérailles qui ont lieu rapidement et y participe souvent en grand nombre.

Le court laps de temps entre le décès et l’enterrement est considéré comme un signe de respect envers le défunt ou la défunte, dont le corps doit être rendu à la terre le plus rapidement possible. En outre, on essaie ici de s’assurer que les survivant·es puissent rapidement mettre un premier point final et commencer leur deuil.

Avant les funérailles, les proches déchirent une petite partie de leur chemise, généralement avec l’aide d’un·e membre de la communauté ou d’un·e ami·e. Ceci en signe de deuil et pour que les valeurs matérielles passent au second plan pour le moment. Mais cette coutume symbolise aussi le fait qu’une déchirure s’est produite dans notre cœur et que nous ne pourrons jamais la réparer complètement. Cette coutume remonte à la Bible, où elle était généralement pratiquée dès la réception de l’annonce d’un décès. Certaines communautés continuent à le faire aujourd’hui.

La cérémonie elle-même peut être très différente selon les communautés, même si certaines prières sont dites presque partout de la même manière. Ainsi, les funérailles se terminent généralement par la prière de la « Kaddish », généralement prononcée par les proches. Dans de nombreuses communautés, les invité·es forment ensuite une haie que les personnes endeuillées traversent et à laquelle sont adressées les premières paroles de réconfort.

Retenu et accompagné

Nous en arrivons donc à la période qui suit les funérailles, c’est-à-dire au deuil des survivant·es. Celui-ci nous place presque toujours devant de grands défis. Qu’il s’agisse de l’accablement qui suit immédiatement le décès, mais où il y a aussi des choses à faire tout de suite ; ou du retour à la vie quotidienne, qui ne doit pas se faire trop vite, mais pas non plus trop lentement ; ou de toute autre phase de deuil et d’assimilation.

Pour faire face à ces défis, le judaïsme a développé un système en plusieurs étapes qui prend immédiatement en charge les personnes endeuillées et les ramène lentement et progressivement à la vie quotidienne. Les principales étapes sont brièvement esquissées ici.

« Onen »

Ce statut intervient au moment du décès du ou de la proche et prend fin après ses funérailles. Bien que l’on soit généralement sous le choc pendant cette période, il y a tout de même des démarches à effectuer, comme par exemple l’organisation des funérailles. C’est pourquoi la religion accorde à la personne endeuillée un petit temps de repos et les commandements ne s’appliquent pas à elle ou lui ; elle et il ne doit par exemple pas prier, prononcer de bénédictions et ainsi de suite ; les interdictions restent bien entendu en vigueur. Cette pause par rapport aux commandements doit également créer une distance à court terme avec Dieu, afin de soulager quelque peu la relation potentiellement chargée avec Dieu à ce moment-là.

« Shiva »

Juste après l’enterrement commence la semaine de « shiva », la semaine de deuil. Les enfants, les parents, les conjoints et les frères et sœurs du ou de la défunt·e sont (généralement) assis·es ensemble dans la maison de deuil et reçoivent des visites de deuil. Le shabbat constitue l’exception à cette règle, car il est traditionnellement interdit de faire son deuil.

Il est également important de savoir que les personnes endeuillées doivent être prises en charge. Ils et elles ne préparent pas eux et elles-mêmes leurs repas, ne réalisent pas le ménage, ne travaillent pas, etc.

Les endeuillé·es s’assoient sur des chaises très basses ou à même le sol, en signe de deuil. La semaine est accompagnée d’autres traditions ; ainsi, tous les miroirs de la maison sont recouverts, ce qui s’explique de plusieurs manières – entres autres, moins de focalisation sur soi-même et sur l’apparence extérieure. Il est également important que les personnes en deuil soient prises en charge. Elles ne préparent pas elles-mêmes leurs repas, ne commandent pas le ménage, ne travaillent pas, etc. Elles ne sortent pas non plus de chez elles, c’est pourquoi toutes les prières de cette semaine sont également effectuées dans la maison de deuil. Ils et elles n’écoutent pas de musique, ne se rasent pas, ne se coupent pas les cheveux, ne portent pas de vêtements élégants, etc. 

Ce cadre très protégé doit donner aux personnes endeuillées suffisamment d’espace et de temps pour commencer à faire leur deuil. De plus, il offre à la communauté un espace approprié pour la compassion ; la visite d’une telle « shiva » est considérée comme un geste particulièrement important. Enfin, la fin clairement définie de cette période offre aux personnes endeuillées un point fixe qui les aide à ne pas manquer le retour à la vie quotidienne.

« Sheloshim»

Le mois de deuil s’achèvera au cours des trois prochaines semaines environ. Les restrictions pour les proches sont assouplies et le travail peut être repris. Il n’est toutefois pas encore question de se raser, par exemple. Tous les membres de la famille directe (enfants, parents, frères et sœurs et conjoints) terminent ce mois de deuil.

« Shannah »

Après le mois de deuil, les prescriptions prennent fin pour tous les proches, sauf pour les enfants du défunt/de la défunte. Pour eux, l’année de deuil continue, au cours de laquelle les restrictions sont à nouveau réduites. Il est par exemple à nouveau permis de se couper les cheveux. Par contre, on renonce à la musique, aux manifestations sociales, aux fonctions publiques de prière telles que les prières d’avant-mort, à l’achat et au port de nouveaux vêtements et à d’autres prescriptions. Pendant cette année, les enfants du/de la défunt·e récitent chaque jour et lors de chaque prière publique la prière de deuil « Kaddish », qui concerne surtout la louange de Dieu, auquel on exprime sa confiance malgré le coup du sort.

Le « temps de l’année »

Lorsque l’année de deuil est terminée, la période de deuil proprement dite prend fin et la vie quotidienne reprend son cours normal, y compris la musique, les événements sociaux et les fonctions, etc. Le jour du décès, un « temps annuel » est organisé. Le « Kaddish » est alors prononcé et la personne disparue est commémorée. Ce jour n’est toutefois pas un jour de deuil classique, mais plutôt un moment où l’on commémore la vie du/de la défunt·e.

Et cette « remise entre les mains de ces rituels et prescriptions » semble offrir à la plupart un filet de sécurité dans lequel ils se sentent bien.

Nous voyons donc que les rituels et les règles autour du deuil commencent de manière très serrée, puis s’assouplissent progressivement au fil des semaines/mois/années. Il s’agit ainsi de s’assurer que la période de deuil ne dure pas éternellement, mais qu’elle n’est pas non plus trop courte. Bien sûr, les émotions de chacun·e sont différentes et on pourrait faire remarquer qu’il faut laisser chacun·e faire son deuil comme il ou elle l’entend. Mais comme nous l’avons dit au début, l’un des objectifs est ici aussi que tout soit le plus possible équitable pour tous et toutes. Et cette « remise entre les mains de la communauté de ces rituels et prescriptions » semble offrir à la plupart un filet de sécurité dans lequel ils et elles se sentent bien. C’est du moins ce qu’affirment la plupart des personnes endeuillées dans les communes les plus diverses.

Respect et gratitude

Le voyage après la mort d’un Juif ou d’une Juive commence donc par le plus grand respect pour le défunt ou la défunte ainsi que pour son corps et se termine par un processus de deuil soigneusement coordonné. Le judaïsme tente ici de faire le lien entre la vie et la mort, et de prendre en compte le fait que la mort est certes triste, mais qu’elle n’est pas toujours un drame et qu’elle ne peut et ne doit surtout pas être ignorée.


Autor

  • Uri Rothschild

    Präsident der «Chewra Kadischa» und aktives Mitglied in der jüdischen Gemeinde Zürich ||| Uri Rothschild ist in Basel aufgewachsen und wohnt in Zürich mit seiner Frau Jael und ihren 4 Kindern. In der jüdischen Gemeinde Zürich ist er in vielen Bereichen tätig; u.a. präsidiert er die «Chewra Kadischa» (zuständig für Beerdigungen) und vertritt zudem den Gemeinderabbiner bei Beerdigungen, Steinstellungen und Trauerbegleitungen. Die Tätigkeit in diesem Bereich hat er von seinen Eltern und Grosseltern schon früh mit auf den Weg bekommen.

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