Bouddhisme  ·  Mort  ·  Rituel de la mort
Rafaela Estermann

La mort comme transition

Le Bouddha historique n’a pas adopté la doctrine d’une âme permanente dans la tradition brahmanique indienne. Il a reconnu que tout est éphémère et dépourvu d’un soi inhérent. Le cours naturel des choses veut que tout ce qui naît disparaisse. L’enseignement bouddhiste ne voit cependant pas de point final à la mort. Qu’est-ce qui continue donc à exister après notre mort ?

Les cinq facteurs du corps et du psychisme que sont les sensations, les perceptions, les impulsions de volonté/émotions et la conscience constituent notre personne. Le corps et les éléments mentaux ne sont pas satisfaisants, ils sont éphémères et n’existent qu’en fonction d’autre chose. Comme les cinq facteurs changent d’instant en instant, le processus de la mort a déjà lieu pendant la vie. Je change d’instant en instant. Cependant, au moment de la mort, les changements deviennent définitifs, le corps et la conscience se séparent. Le flux des différents moments de conscience et des dispositions karmiques se transforme en une impulsion de conscience dans un nouveau corps. Une métaphore pour éclairer cela serait la lumière qui est transmise d’une bougie à l’autre. Dans notre pratique, nous disons aussi que ce qui « n’a pas encore été réglé dans cette vie » est transmis.

Accompagnement bouddhiste des mourant·es et rituels de mort

L’accompagnement bouddhiste des mourant·es a pour but de susciter un état d’esprit paisible, la confiance ainsi que le souvenir de ses propres intentions et actions bénéfiques. Elle vise également à soutenir la pratique de la méditation. Le calme et une atmosphère agréable et positive sont très importants. Le ou la malade doit être réconforté·e et sa confiance renforcée. On rappelle à la personne mourante qu’elle n’est pas son corps physique, qu’il est maintenant temps de se demander : suis-je le corps qui souffre ainsi ? Cela peut aider la personne en fin de vie à se détacher de ce corps. Des exercices de relaxation et la visualisation du Bouddha Amitābha, symbole de ce qui est au-delà de l’espace et du temps, sont également utiles pour devenir détendu·e, calme et paisible. Les mourant·es peuvent ainsi tout déposer et être pleinement dans le moment présent. Celui ou celle qui meurt avec l’état d’esprit d’une profonde confiance en sa nature de bouddha intérieure a lâché l’expérience subjective du « moi » et du « mien ». C’est la seule chose qui importe à présent. Il faut éviter de pleurer en présence des mourant·es afin de ne pas les attrister. Il ne faut pas les déranger, ni toucher ou bouger leur corps. Comme le dernier moment de conscience déclenche la conscience dans la prochaine existence, le moment de la mort est important, car il détermine le type de renaissance.

Après le dernier souffle

Après le dernier souffle, il y a un processus de mort intérieure, que l’on imagine comme la réunion des énergies intérieures. Même après la mort, les attachements sont encore forts. Comme l’ouïe est la dernière à disparaître, les défunt·es continuent à être exhorté·es à se débarrasser de tout. Il leur est rappelé que cette vie est maintenant arrivée à son terme, que le processus de la mort fait l’expérience de l’impermanence et qu’ils et elles ne doivent pas s’inquiéter de l’avenir. Le corps doit continuer à ne pas être touché pendant au moins une demi-heure, de préférence pendant huit heures. Pendant ce temps, des récitations d’Amitābha peuvent avoir lieu. Selon les traditions, des pujas sont également effectuées et certains textes de sutra sont récités. 

Il est également demandé aux proches de se souvenir de l’impermanence et de laisser la défunte s’éloigner.

La cérémonie funéraire se déroule généralement dans une salle du cimetière ou dans le temple. Le cercueil ou l’urne est exposé, un autel est dressé, que l’on décore d’une figure de Bouddha, de fleurs, de bâtonnets d’encens et d’offrandes. A titre d’exemple, je voudrais mentionner une cérémonie dans une salle d’enterrement du crématorium de Taipei. La partie « religieuse » de la cérémonie se déroule en présence d’un moine ou d’une nonne et d’une vingtaine de volontaires vêtu·es de la robe noire de bodhisattva, qui pénètrent solennellement dans la pièce en récitant l’Amitofo1. Le soutra du cœur est ensuite récité, suivi d’un discours de la personne ordonnée, dans lequel la ou le défunt·e est rappelé·e à l’existence conditionnée et à la vacuité de toute chose. Elle est exhortée à tout laisser partir. Les proches sont également prié·es de se souvenir de l’impermanence et de laisser la défunte s’en aller.

Mémorial bouddhiste au cimetière de Bremgarten à Berne. © Christoph Knoch

Le jardin du souvenir

Dans la plupart des traditions bouddhistes, les défunt·es sont incinéré·es, mais l’inhumation est également possible. Les cimetières ne sont certes pas très importants, mais ils occupent de plus en plus le devant de la scène en Occident, surtout depuis qu’il existe des champs de tombes bouddhistes. Ainsi, le jardin de Bouddha du cimetière Bremgarten à Berne est très fréquenté et des souvenirs, des fleurs, des images et des bâtons d’encens sont déposés devant la statue de Bouddha.

En Suisse, les bouddhistes ne sont pas confrontés à des difficultés particulières en matière d’inhumation.

Traditionnellement, l’urne funéraire est conservée dans des pièces spécifiques du temple. On y trouve également une plaque commémorative de la personne décédée. Il existe aussi d’autres manière de s’occuper des cendres du défunt ou de la défunte. À Taïwan, j’ai découvert le jardin du souvenir, où les cendres sont directement déversées dans un trou de terre. Les proches déposent des fleurs et une poignée de terre par-dessus. Aucune trace ne subsiste, car aucune plaque commémorative n’est apposée. La personne décédée retourne dans le vide. Lors de l’inhumation chez nous en Occident, les rituels traditionnels des pays d’origine respectifs sont le plus souvent fortement simplifiés et raccourcis. Ils ne sont pas uniformes. Dans la mesure du possible, des proches, des assistant·es laïc·ques et des personnes ordonnées y participent. Pour les bouddhistes, il n’y a pas de défi particulier en Suisse en ce qui concerne l’enterrement. Ceux et celles qui ne sont pas enterré·es dans un cimetière bouddhiste ou qui ne font pas conserver l’urne dans un temple peuvent se faire enterrer dans n’importe quel cimetière non confessionnel.

Représentations de l’au-delà

Bouddha Shakyamouni n’a pas répondu à certaines questions, car il évitait les spéculations métaphysiques. Les questions sur l’au-delà en faisaient partie. Au cours de l’évolution historique, différentes représentations de l’au-delà ont néanmoins vu le jour, la plus connue étant la roue des existences dans le cycle du samsara. Dans ces représentations, nous trouvons tout d’abord les causes d’une renaissance : l’avidité, la haine et l’aveuglement, représentés par le coq, le serpent et le cochon. Dans le cercle suivant suivent les domaines d’existence des dieux, des demi-dieux, des hommes, des animaux, des esprits affamés, des êtres infernaux, dans lesquels nous renaissons. A l’extérieur est représenté ce qui nous retient dans ce cycle : les 12 membres de la naissance dépendante : l’ignorance, les forces de création, la conscience, le corps et la psyché, les six organes des sens, le contact, la sensation, le désir, la saisie, le devenir, la nouvelle naissance ainsi que la vieillesse et la mort. Nous pouvons nous représenter les domaines d’existence comme des domaines dans lesquels notre conscience se trouve à travers différentes existences ou comme des aspects de l’essence de notre personne actuelle.

En dehors de l’espace et du temps

Parallèlement, dans le bouddhisme d’Asie de l’Est comme dans le bouddhisme tantrique, il existe la notion de Terre pure du Bouddha Amitābha, « Sukhāvatī », décrite comme un monde céleste localisé en Occident. Bouddha Amitābhā représente la lumière infinie et la vie illimitée – ce qui est hors de l’espace et du temps. Dans la conception du Chan, la Terre pure est le lieu idéal pour pratiquer. C’est là que les êtres s’entraînent pour devenir des bodhisattvas et retourner ensuite dans le monde du samsara. Pour renaître dans la Terre Pure, on récite le nom de Bouddha Amitābha avec la plus profonde confiance, de son vivant et à sa mort. On intériorise ainsi le Bouddha comme n’étant pas différent de notre propre vraie nature d’esprit, notre nature de Bouddha. La Terre pure se trouve en nous-mêmes.

Ce n’est pas l’au-delà, mais un état d’expérience qui est également possible dans ce monde.

Le but ultime de la pratique bouddhique est de s’éveiller à notre nature de bouddha, au nirvana ou à la bouddhéité, et ainsi de nous libérer du cycle du samsara. Le Bouddha a dit qu’il est possible d’atteindre le nirvāṇa, l’incréé et le sans-mort. Ce n’est pas un au-delà, mais un état d’expérience qui est également possible dans ce monde. Le nirvana, la « réalité proprement dite », a été connoté positivement dans le grand véhicule2 et a conduit à l’idée d’une loi universelle ultime, également appelée sounité, nature de bouddha ou sagesse. Il est possible d’en faire l’expérience. Les bouddhistes croient que le Bouddha l’a reconnue et atteinte, et que nous aussi pouvons y parvenir si nous nous éveillons ou devenons illuminés. S’éveiller signifie surmonter les trois poisons de base que sont l’avidité, la haine et l’aveuglement, ainsi que les trois caractéristiques de l’existence : l’impermanence (anicca), le non-soi (anatta) et l’insatisfaction (dukkha), et de les réaliser. Nous pouvons reconnaître que tout est vide d’un noyau d’essence inhérente, que tout est simplement créé en fonction d’autre chose.

Comment pouvons-nous nous préparer à la mort ?

C’est une question importante pour les bouddhistes. La connaissance de notre mortalité nous aide à organiser notre vie. Notre vie dans ce monde est courte, c’est pourquoi elle est très précieuse. Nous apportons avec nous les conséquences de nos actions passées et pouvons évoluer dans cette vie, enlever les graines karmiques qui mûrissent en nous et nous efforcer de nous éveiller. La meilleure préparation à sa propre mort est de suivre la voie de la pratique de la meilleure manière possible et de développer la sagesse dans la méditation. Dans le Chan, c’est la voie de la bodhisattva, qui a fait le vœu non seulement de se libérer elle-même, mais aussi de revenir dans le monde pour guider les autres êtres sur cette voie. En vivant consciemment les transitions, nous pouvons expérimenter ce que c’est que de simplement regarder, accepter, faire ce qu’il y a à faire et lâcher prise.

La méditation est une préparation essentielle à la mort. Nous y apprenons à être toujours dans le moment présent ; c’est l’essence même du Chan. Si nous pouvons le faire sans penser au passé, sans penser à l’avenir, sans être distraits par l’environnement, alors nous sommes préparés à la mort. Ce n’est pas pour rien que nous parlons aussi de mourir sur l’oreiller, lorsque nous pouvons tout lâcher. Peut-être parviendrons-nous également à relâcher le lien qui nous unit à notre corps. Un autre aspect est d’accumuler du bon karma ou du mérite afin d’obtenir une renaissance avantageuse. Le Chan, le zen et le bouddhisme tantrique soulignent également que le processus de mort lui-même peut être utilisé pour la libération. L’esprit calme et clair grâce à l’expérience de la méditation peut reconnaître sa véritable nature au cours de ce processus. Cela conduit à la possibilité d’une renaissance consciente au bénéfice des autres.


  1. Amitoto est la prononciation chinoise de Bouddha Amitabha. ↩︎
  2. Le grand véhicule est l’une des trois directions principales du bouddhisme : le petit véhicule (Hinayana), le grand véhicule (Mahayana), le bouddhisme tibétain (Vajrayana). ↩︎

Autor

  • Hildi Thalmann

    Meditationlehrerin, ehemalige Kinderneurologin ||| Hildi Thalmann ist Meditationlehrerin in der Linie des humanistischen chinesischen Buddhismus von Meister Sheng Yen. Dr. med., früher tätig als Kinderneurologin, Master of Science of Religion. 

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