Islam
Hansjörg Schmid

Pourquoi l’éco-islam est rarement un sujet de discussion en Suisse ?

L’islam offre de nombreux points d’ancrage pour une alliance interreligieuse, mais aussi de la société civile, notamment en lien avec les multiples initiatives écologiques. Des perceptions répandues de l’islam et de la religion en général empêchent toutefois que ces potentiels puissent se développer pleinement en Suisse également.

Radicalisation, violence, voile, imams – tels sont les thèmes récurrents du débat sur l’islam en Suisse. L’éco-islam pourrait offrir ici un changement bienvenu, car il permettrait aux contributions musulmanes de s’exprimer pour une cause qui concerne l’ensemble de la société. La question écologique peut s’avérer intégratrice au-delà des frontières des convictions religieuses et philosophiques. Mais en ce qui concerne les musulman·es, c’est encore peu le cas jusqu’à présent en Suisse.

L’association faîtière Vereinigung der Islamischen Organisationen in Zürich (VIOZ) a publié en 2016 une brochure intitulée «Umweltschutz & Nachhaltigkeit im Islam» (trad: «Protection de l’environnement et durabilité en islam»). Des versets coraniques y montrent à quoi peut ressembler une gestion responsable de la création. Suivent des conseils concrets pour une alimentation respectueuse de l’environnement, des économies d’énergie et la réduction des déchets. Cette publication pionnière est l’expression d’un engagement de la société civile et d’une coresponsabilité pour le grand tout.

Trois raisons pour lesquelles l’engagement vert des musulman·es est relativement rare en Suisse

C’est surtout dans les pays anglo-saxons que de telles activités existent en plus grand nombre. En Suisse, elles sont encore relativement rares. Trois raisons expliquent cette situation :

1. Les débats sur l’islam véhiculent l’attente que les musulmanes et les musulmans s’expriment sur les questions et les thèmes qui y sont articulés. Ceux et celles-ci expriment le besoin d’information et d’assurance de la part de la «société majoritaire». Dans ce contexte, on attend souvent des musulmanes et des musulmans qu’ils et elles apportent la preuve de la compatibilité de l’islam avec un ordre social laïc. En raison des suspicions qui caractérisent ces débats, il n’est guère possible de briser le cercle des attentes. Une focalisation plus forte sur l’éco-islam pourrait renforcer chez certains observateurs l’impression que les musulmans et musulmanes détournent sciemment l’attention des questions urgentes qui leur sont adressées et veulent même «islamiser» la tendance écologique. Si le thème de l’écologie venait à être mis à l’ordre du jour, on pourrait aussi avoir l’impression que les musulmans et les musulmanes ont quelque chose à apporter en plus de tout le reste

2. Alors que dans les pays anglo-saxons, l’intégration sociale et structurelle est plus avancée, en Suisse, les organisations musulmanes sont encore souvent occupées à répondre à des besoins de base – à l’image de l’aumônerie dans les institutions publiques. Un grand nombre d’organisations musulmanes proposent des services sociaux pour répondre ainsi aux situations d’urgence des jeunes, des demandeur·euses d’asile et des sans-abri. Dans ce contexte, l’écologie est presque encore un sujet de luxe lorsque les organisations musulmanes doivent d’abord clarifier la situation de départ pour leur participation sociale et sont déjà bien occupées avec les tâches précitées. Un regard sur les initiatives écologiques chrétiennes montre également qu’elles sont relativement rares et ne font en aucun cas partie du programme standard des paroisses locales.

En Suisse, la question de savoir dans quelle mesure les communautés religieuses doivent participer aux débats politiques est fondamentalement controversée.

3. Si l’on considère la question écologique dans un sens global, les changements de comportement des individus ou des petits groupes ne suffisent pas, il faut également des incitations économiques, des priorités sociales et des mesures politiques. Cependant, la question de savoir dans quelle mesure les communautés religieuses doivent participer aux débats politiques est fondamentalement controversée en Suisse. Ainsi, certaines voix se sont récemment élevées pour remettre en question l’opportunité pour les organes ecclésiastiques de participer à l’appel à la grève du climat. Cette question avait déjà fait l’objet de controverses dans le cadre de l’initiative sur la responsabilité des entreprises. Dans le cas de communautés religieuses non établies, un tel climat de discussion peut justement conduire à plus de retenue dans l’espace public. Mais à l’inverse, cette situation incite également à une réflexion sur la meilleure manière de mettre en valeur l’héritage prophétique et critique des religions monothéistes à l’heure actuelle.

L’engagement écologique ne doit pas être fondé sur la religion

Au-delà de ces trois aspects, la recherche d’un islam écologique peut être remise en question sur la base d’un autre argument, qui concerne d’ailleurs aussi les membres d’autres religions : les musulmanes et les musulmans qui s’engagent dans l’écologie ne sont pas forcément toujours visibles en tant que tels ou ne veulent pas forcément être visibles en tant que tels. Compte tenu de la diversité des identités, l’engagement écologique des musulmanes et des musulmans peut aussi être fondé et motivé autrement que par la religion. Ou bien il peut s’agir d’un hybride de convictions politiques, idéologiques, civiques, religieuses et autres. Lorsque, par exemple, le célèbre militant écologiste britannique Fazlun Khalid voit dans l’islam la solution aux problèmes environnementaux (Khalid 1998, 17), il y a un risque de simplification et de compétition peu fructueuse pour savoir quelle religion est la plus écologique. De telles réponses univoques semblent également peu appropriées pour déconstruire et différencier un discours qui souffre du fait que tout comportement est interprété comme «islamique».

Attachement à la nature et critique de la modernité

Contrairement au slogan provocateur de Khalid, l’approche de Seyyed Hossein Nasr, né en Iran et enseignant aux États-Unis, présente une plus grande ouverture interreligieuse. Nasr voit dans la crise environnementale une crise globale de l’homme moderne (Nasr 1996). Pour Nasr, les religions s’accordent à considérer la nature comme sacrée. Il se réfère par exemple à une mystique chrétienne du 12ème siècle, Hildegard von Bingen, selon laquelle l’homme porte en lui le ciel et la terre et est donc étroitement lié à la nature. Nasr critique toutefois le fait que cette conscience se soit perdue en Occident depuis la Renaissance. Il oppose à l’anthropocentrisme moderne une orientation radicale vers Dieu. Il est donc fondamentalement hostile aux positions non religieuses, de sorte qu’il n’est pas possible pour lui de jeter des ponts avec les mouvements environnementaux laïques.

La critique acerbe de la modernité de Nasr comporte certainement des éléments justifiés. On peut également voir une performance d’intégration dans le fait qu’un penseur musulman se penche de manière critique sur les fondements de la modernité occidentale. Mais comme sa position se transforme en critique fondamentale, elle est probablement difficile à faire passer dans le contexte de la Suisse. Elle pourrait encore renforcer la méfiance envers l’islam, car les débats sur l’islam exigent justement la preuve d’une compatibilité avec la modernité. Mais exclure d’emblée la position de Nasr du discours s’avérerait également problématique.

L’écologie vécue : dans les jardins interreligieux et multiculturels, le rapport à la nature est renforcé. © Vera Rüttimann

Engagé·e à une utilisation responsable des ressources

D’autres penseurs musulmans aspirent à une plus grande synthèse. Ainsi, Mohammad Hashim Kamali, qui enseigne en Malaisie – l’une des voix les plus importantes parmi les érudits musulmans contemporains – reconnaît une convergence entre les positions séculières et musulmanes sur la durabilité (Kamali 2016). Kamali souligne que l’économie occidentale reste tributaire d’une dimension spirituelle. La sagesse et la capacité d’apprendre les un·es des autres dans le sens du bien commun universel sont ici centrales.

D’un point de vue islamique, l’homme est ordonné à Dieu et lié à l’ensemble de la création. Il est donc tenu d’utiliser toutes les ressources de manière responsable. Dans ce contexte, il peut toutefois tout à fait s’accorder avec des concepts de durabilité globale qui associent les dimensions écologiques, économiques, sociales et spirituelles.

Les préjugés à l’égard de la religion entravent le développement de son potentiel

Un regard sur les contributions et les débats internationaux montre que ceux-ci peuvent également servir d’enrichissement pour le contexte suisse. Toutefois, l’engagement de la société civile requiert également des conditions de départ égales ou du moins proches de l’égalité, ce qui n’est souvent pas le cas au vu des débats unilatéraux. Les acteurs de la société civile doivent enfin être en mesure de gérer une diversité de positions et d’alternatives. Les courants écologiques séculiers et religieux se mélangent et se chevauchent dans de nombreux cas. L’engagement musulman dans ce domaine trouve souvent son origine dans le fait que les activités laïques sont encadrées islamiquement par des symboles, des versets du Coran et des paroles du prophète, ce qui permet également des alliances entre les représentants d’une modernité autocritique d’une part et les positions religieuses d’autre part.

Mais des positions comme celle de Nasr peuvent aussi donner des impulsions importantes et sont l’expression de la conflictualité de tous ces débats. Enfin, la société civile offre un espace pour des mécanismes locaux de régulation de la gestion des ressources, dont les personnes concernées sont elles-mêmes responsables et qui, pour l’écologiste Elinor Ostrom, peuvent contribuer de manière décisive à la résolution de la crise écologique sur le modèle des biens communs (Ostrom 2015). Dans une société hautement diversifiée, ces mécanismes de régulation doivent toutefois être pensés de manière plus inclusive qu’auparavant.

Mais tant que de larges pans de la société auront un problème avec la religion, et en particulier avec l’islam, il ne sera pas facile de mettre en valeur les potentiels d’un islam écologique. Il sera alors également impossible d’apprendre que les positions religieuses et laïques sur la question de l’environnement sont souvent plus proches qu’on ne le pense au départ. Il faut donc souhaiter à tous les participants de faire preuve de curiosité afin de découvrir dans la pensée et l’action des autres quelque chose qui pourrait encore leur manquer.


Kamali, M. H. (2016). Islam and Sustainable Development. Islam and Civilisational Renewal, 7 (1), 8-26.

Khalid, F. (1998). Islam, Ecology and the World Order. In H. Abdel Haleem (ed.), Islam and the Environment (pp. 16-31). London: Ta-Ha Publishers.

Nasr, S. H. (1996). Religion and the Order of Nature. New York/Oxford: Oxford University Press.

Ostrom, E. (2015): Governing the commons. The evolution of institutions for collective action. Cambridge: Cambridge University Press.

Autor

  • Hansjörg Schmid

    Professor für Interreligiöse Ethik und geschäftsführender Direktor des Schweizerischen Zentrums für Islam und Gesellschaft (SZIG) ||| Hansjörg Schmid ist Professor für Interreligiöse Ethik und geschäftsführender Direktor des Schweizerischen Zentrums für Islam und Gesellschaft (SZIG) an der Universität Freiburg. Öko-Islam ist auch ein Thema im Masterprogramm «Islam und Gesellschaft» des SZIG.

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